Un mystère vieux de près d’un siècle...
En 1930, des ouvriers sont à pied d’oeuvre à Carhaix pour démonter pierre par pierre un magnifique cloître gothique appartenant au couvent des Augustins fondé au 14ème siècle, vendu à la Révolution Française et revendu, en cet entre deux guerres, à un mystérieux marchand d’art qui commerce avec les Etats-Unis !
Mis sous caisses, le cloître prend la route et embarque vers « une destination inconnue ». Cette disparition nimbée de mystère, qui émeut à l’époque la presse, les historiens et les élus locaux, continue, malgré les décennies écoulées, à faire parler d’elle…
95 ans plus tard, le mystère est désormais résolu !
Un patrimoine au coeur des politiques de la Ville
Dans le cadre de la revitalisation de son coeur de ville, la municipalité de Carhaix porte le projet de création d’un parc public à l’emplacement des jardins et du cloître disparu de l’ancien couvent des Augustins, déserté depuis la Révolution française. Ce parc permettra de créer une circulation douce et une aération en plein coeur de ville, tout en mettant en valeur un patrimoine et une histoire méconnus des habitants et des visiteurs : la portail de la chapelle de l'ancien couvent des Augustins de Carhaix, inscrit aux monuments historiques. Première étape indispensable, reprendre et améliorer nos connaissances sur cet ensemble médiéval, relativement délaissé jusqu’alors.
La mairie a dans ce cadre sollicité le Service Régional d’Archéologie, qui a missionné l’Institut National de Recherche Archéologique Préventive (Inrap) pour réaliser un diagnostic archéologique et une étude historique. En parallèle, Anne Derrien, historienne de formation, a été missionnée par la municipalité afin de retracer le destin du cloître, à partir de sa vente. Outre cette redécouverte inespérée, les études réalisées nous donnent une excellente vision de l’aspect des lieux avant le démantèlement du cloître, ce qui permettra de nourrir l’aménagement du parc.
Le destin rocambolesque d’un cloître du Moyen-Âge
Fondé par le duc de Bretagne et la famille des Quélen du Vieux-Chastel dans la seconde moitié du 14ème siècle (des bulles pontificales en 1355 et 1361 en font la demande et l'installation est attestée en 1372 dans l'Orbis Augustitianus), le couvent des Augustins est un pôle important du Carhaix médiéval. Perdant en puissance au fil des siècles, son cloître construit au tout début du 15ème siècle est partiellement démoli en 1763 : 2 ailes sur les 4 qu’il comportait initialement disparaissent. Les derniers Augustins sont évacués à la Révolution et le couvent est vendu comme bien national. Le citoyen Le Bolloch l’achète, pour 26.000 livres. Légué à ses héritiers, puis vendu à deux reprises, il est en 1923 aux mains d’une commerçante de Carhaix, Louise Le Coz. La municipalité, consciente de la valeur de ce patrimoine, proposera sans succès de racheter les deux ailes subsitantes du cloître pour les remonter dans la cour de l’école de la République.
Dans les années 1920, l’acquisition d’oeuvres d’art et d’antiquités européennes - et notamment des cloîtres médiévaux - est très en vogue chez les riches américains. Le cloître de Madame Le Coz tape dans l’oeil de Prosper Simon, un antiquaire de Beauvais qui sert d’intermédiaire à des marchands d’art new-yorkais, les Brummer.
Sur photographie, les Brummer vendent le cloître de Carhaix à William Randolph Hearst, richissime magnat de la presse et acheteur compulsif d’antiquités et de monuments européen, dont la vie a inspiré le personnage principal du film d’Orson Wells Citizen Kane. C’est alors que, malgré les protestations d’élus et érudits locaux impuissants, le cloître est démonté et transporté vers « une destination inconnue » et que l’on en perd la trace. La crise de 1929 et ses dépenses extravagantes vont peu à peu mener Hearst à sa ruine. En 1941, il se retrouve contraint de revendre le cloître aux Brummel.
C’est à ce moment que le Nelson-Atkins Museum de Kansas City en fait l’acquisition. Il y est remonté en 1949 et est depuis lors exposé, avec un cartel indiquant comme provenance : « Saint-Augustin, Beauvais ». Le peu scrupuleux antiquaire Prosper Simon, probablement méfiant des autorités françaises et des procédures de classements aux Monuments Historiques, a certainement brouillé les pistes et la provenance réelle du cloître, expliquant qu’il ait fallu près d’un siècle et un soupçon de chance pour le retrouver ! L’historien agent de l’Inrap est en effet passé par Kansas City et un informateur, M. Saint-James, médiateur à l'abbaye du Mont Saint Michel, s'est rapproché de l’historienne missionnée par la Ville de Carhaix grâce aux articles parus dans la presse après le lancement des recherches à l'automne 2024.
Une étude historique...mais aussi une opération archéologique
La ville de Carhaix a déposé une demande anticipée de prescription archéologique préventive pour son projet d’aménagement d’un parc paysager en centre-ville, sur des terrains situés impasse Marat à l’emplacement de l’ancien couvent. Le Service régional de l’Archéologie a donc émis un arrêté de prescription de diagnostic archéologique dont la réalisation a été attribuée à l’Inrap. Les objectifs étaient de préciser la chronologie des phases de construction de l’ensemble conventuel et de les cartographier. Conformément au cahier des charges du diagnostic archéologique, une étude documentaire ainsi qu’une prospection géophysique viennent compléter les informations recueillies. L’opération, réalisée par trois archéologues, s’est déroulée sur le terrain du 25 novembre au 6 décembre 2024.
Des bâtiments conventuels, il subsiste quelques vestiges en élévation de l’église, le portail ouest ainsi que quelques parties des murs gouttereaux nord et sud. Six sondages ont été ouverts, trois dans les parcelles au nord localisées dans une cour du couvent et trois autres dans la partie ouest de l’ancienne église. Les recherches ont révélé la présence de plusieurs sépultures à l’intérieur de l’église dont une possédait encore un cercueil en bois ainsi qu’un sol de terre battue qui devait autrefois accueillir le dallage de l’édifice.
Dans l’angle sud-est des parcelles nord, un mur a été mis au jour à plus d’un mètre sous la surface actuelle. Sa localisation et son orientation, parallèle à la limite parcellaire actuelle, ainsi que sa proximité avec l’emplacement de l’ancienne aile ouest du cloître, suggèrent que ce mur pourrait appartenir à cette aile ou à un bâtiment qui lui serait adossé.
Une autre découverte importante de ce diagnostic a été révélée par l’étude documentaire. Cette dernière permet de lever le voile sur le devenir du cloître après son expédition vers les États-Unis en 1930 et de recréer le lien entre son lieu de conservation actuel au Nelson-Atkins Museum de Kansas City et la ville de Carhaix-Plouguer.
Un long travail qui n’est qu’un début
Si le destin final du cloître nous est désormais connu, les recherches se poursuivent toujours afin de recoller chaque morceau de l’histoire du cloître, du couvent et de ses habitants, des moines Augustins aux familles souvent pauvres qui l’ont occupé de la Révolution jusqu’au milieu du 20ème siècle. Ces recherches passionnantes feront prochainement l’objet d’un rapport, librement consultable, ainsi que de restitutions au public, sous la forme d’une ou de plusieurs conférences ainsi que d’une exposition temporaire. Un partenariat avec le Nelson-Atkins Museum, contacté par les historiens français et très enthousiaste à l’idée de mieux connaître l’histoire d’une des pièces maitresses de ses collections, sera en ce sens indispensable. Une numérisation en 3D du cloître tel qu’il se présente aujourd’hui aux Etats-Unis permettra en effet de le restituer à Carhaix, pourquoi pas grâce à la réalité virtuelle ou augmentée.